Piscinecore
Intro rapide sur Tokio Hotel et règles de bienséance d'usage des piscines municipales
L’intérêt de cette publication, c’est d’entretenir la fluidité de la réflexion, de ne pas la figer ni dans des formats trop lourds, ni dans des posts trop étriqués sur les réseaux. Elle me sert d’archive vivante pour ma recherche en cours, autant que d’ouverture pour des expérimentations autour du jeu vidéo, ainsi la publication annexe de quelques playlists et reviews.
#piscinecore
🤿 La notion de Piscine est un prétexte pour parler d’interstices, d’univers clos et de perméabilité, de systèmes de règles et de séparation des tâches, de travail et de jeu, de fiction et de non-lieux. Je tente depuis ce printemps 2024 de dérouler le fil une pensée fluide qui rebondit d’œuvre en œuvre, qu’elle soit issue du jeu vidéo, du cinéma, de la littérature, de la sociologie ou de la philosophie ou du monde de l’art contemporain.
Les espaces de sensorialité particuliers comme les piscines (municipales, domestiques, olympiques, pataugeoires, casseroles ou flaques en tout genre) m’apparaissent comme des annexes du monde réel. Les règles à respecter pour y exister sont des variations de celles de l’extérieur, plus ou moins strictes, qui transforment notre rapport au monde et notre manière de le percevoir. Les conditions d’existence de la piscines sont celles de sa surface, de son espace et de sa séparation avec le reste.
De la même manière que le travail est séparé dans l’espace et dans le temps des activités de loisir, de la même manière que les classes sociales ont été déterminées comme étant distinctes les unes des autres selon plusieurs facteurs, ce que j’appelle Piscine est avant tout un concept de non-lieu déterminé, une zone d’hyper-fonctionnalité, un métavers à l’intérieur de notre existence auquel nous avons le droit d’accéder selon certaines modalités ou certaines conditions à remplir. La piscine est un outil philosophique, esthétique et rhétorique pour comprendre nos constructions sociétales et politiques dans un contexte où la notion de vérité est façonnée autant par des médias polycéphales et largement situés que par des fantasmes d’influenceurs et influenceuses qui finissent par devenir réalité.
C’est un réservoir d’eau autant que de récits d’émancipation du monde extérieur. Ceux-ci servent de nouveaux points de vue, d’axes de rotation pour, non pas répondre à une question ou déterminer une vérité, mais pour déplacer le regard et concevoir des outils pour remettre en jeux des dichotomies, des polarités et des architectures cognitives auxquelles nous sommes soumis·e·s sans forcément nous en rendre compte. La surface de l’eau, c’est la membrane visqueuse qui relie plusieurs modes de pensée ensemble, qui semble fonctionner comme un écran mais qui fonctionne en réalité comme une interface pour interagir avec tout un espace de logique autre, différente mais accessible.
Un jeu vidéo, c'est une piscine par définition. Il s'agit d'un univers séparé du nôtre, piloté par un·e joueur·euse exogène, extravidéoludique, épidémique. Par une entité qui vient du monde extérieur et qui s'y immerge, qui s’enfonce dans ses profondeurs et qui va vivre à l'intérieur pour quelques instants, en suivant ses règles. Bien que différent en apparence, lorsque l'on s'y rend et que l'on y joue, la séparation qui semble initialement si claire finit par disparaître et on y nage avec plus ou moins d'aisance, que l'eau y soit chlorée, salée, ou terreuse. Des images véhiculées par un médium, quelles qu'elles soient, à vrai dire, sont d’une certaine manière des piscines. Un film, un flux, des images animées, statiques, ou encore mentales, des récits dont on fait la médiation sont des images qui proposent une immersion qui sera acceptée ou non, une piscine dans laquelle il sera possible de s'immerger et en laquelle il sera possible de croire.
Bill Kaulitz & Laure Manaudou
Un lave-vaisselle peut également faire office de piscine, que l’on y lave de la vaisselle ou qu’on le détourne pour nettoyer ses légumes, et un évier dans lequel on ne lave pas de légumes mais dans lequel peut marcher Lara Croft également. Les piscines sont aussi des soupes de sens qui permettent de confronter des idées très différentes ensemble. Une image, dans sa simple composition, peut déjà être perçue telle quelle. En Octobre 2014, sur le plateau de l’émission française C à vous, le groupe Tokio Hotel annonçait leur come-back. On assiste ici à un véritable plissement de l’espace-temps. Ils jouent en live leur nouveau titre, “Love who loves you back”, mais pas devant n’importe qui. Assistent à ce micro-concert, privilégié, mais qui se déroule devant des milliers de téléspectateurs, la nageuse et championne Olympique de natation Laure Manaudou (et le danseur Brahim Zaibat), tout ça pendant que ce petit monde mange un dessert.
Le titre de Tokio Hotel évoque d’ores et déjà la boucle spatiotemporelle et le renversement du sens. Les membres du groupe allemand sont méconnaissables tandis que Laure Manaudou est portrayée par la caméra comme un arrière plan flou derrière le profil suresthétisé du chanteur Bill Kaulitz, comme la céramique subaquatique de la piscine olympique à la surface de laquelle se déroule la vraie compétition, le véritable enjeu médiatique. Dans cette émission, on ne comprend rien. Le live a été tourné il y a déjà dix ans et le tube Durch den Monsun, le premier single du groupe, sortait quant à lui en 2007, encore sept ans avant. Aujourd’hui, je ravive tout ça juste après les Jeux Olympiques de Paris pour lesquels Laure Manaudou a été la première porteuse de la flamme.
Déphasage
L’idée de cette newsletter, c’est aussi une dérive dans le sens des choses, une errance de catégorisation en catégorisation en utilisant un prétexte malléable pour pouvoir passer d’idée en idée et assembler de nouvelles choses.
Si j’ai ouvert ce texte avec Piano Phase de Steve Reich, c’est également en résonnance avec la composition de cette composition. Steve Reich, c’est un des boss du phasing et de la musique minimaliste, que j’ai découvert grâce à la chaîne Mathémusique, que j’adore, et qui sort à partir de cette année un nouveau format de vulgarisation de théorie musicale soutenu par le CNC. Le déphasage progressif de la boucle de piano que l’on entend est selon moi étrangement aligné avec cette idée de piscine close mais poreuse, de monde aux règles étrangères, mais auxquelles on peut tout à fait se plier si l’on désire s’amuser un peu. J’ouvre avec Piano phase et je termine avec l’explication de sa construction pour confronter l’idée avec sa propre mise en forme.